Tout savoir sur les biens à double usage (BDU)

Les biens à double usage représentent un enjeu stratégique pour la sécurité internationale, mais aussi un risque de conformité pour les exportateurs. La complexité de la réglementation nécessite une maîtrise technique et juridique fine, surtout lorsque l’on cible des marchés extra-UE.

Biens à double usage

Qu’est-ce qu’un bien à double usage ? Comment est encadrée leur exportation ? Quelles sont les obligations des entreprises qui en manipulent ? Faisons le point complet sur la réglementation applicable en 2025.

Qu’est-ce qu’un bien à double usage (BDU) ?

Un bien à double usage est un produit, une technologie ou un logiciel initialement conçu pour un usage civil, mais qui peut aussi être utilisé, directement ou indirectement, à des fins militaires, ou dans la fabrication d’armes de destruction massive (armes nucléaires, chimiques ou biologiques).

Par exemple :

  • Un logiciel de cryptographie peut servir à sécuriser les transactions bancaires, mais aussi à dissimuler des communications militaires
  • Une centrifugeuse peut être utilisée dans l’industrie pharmaceutique, mais aussi dans l’enrichissement de l’uranium
  • Certains capteurs, lasers ou matériaux composites peuvent équiper des avions de chasse aussi bien que des appareils civils

Ces biens ne sont pas interdits en soi, mais leur exportation est contrôlée pour éviter qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains.

Quelle est la réglementation applicable aux biens à double usage (BDU) ?

Un encadrement international

La réglementation des BDU s’inscrit dans un cadre international, via des régimes multilatéraux de contrôle des exportations, tels que le Groupe d’Australie (lutte contre la prolifération chimique et biologique), le Régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR), le Groupe des fournisseurs nucléaires (NSG), ou encore le Wassenaar Arrangement (pour les biens et technologies conventionnels).

Ces régimes ne sont pas juridiquement contraignants, mais les États qui y participent s’engagent à mettre en place une réglementation nationale ou régionale.

Le règlement européen n° 2021/821

Au sein de l’Union Européenne, la réglementation est harmonisée par le Règlement (UE) 2021/821, entré en vigueur le 9 septembre 2021. Il a remplacé l’ancien règlement 428/2009. Ce règlement établit un régime commun de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et du transfert de biens à double usage.

Il repose sur :

  • une liste commune de BDU (mise à jour régulièrement)
  • un système d’autorisation préalable d’exportation
  • des règles de compliance interne pour les entreprises
  • une attention particulière portée aux risques liés aux droits humains et à la cybersurveillance

Quels types de biens sont concernés ?

La liste des BDU est publiée chaque année au Journal officiel de l’Union Européenne (JOUE) et comprend des milliers de références classées par catégories techniques. La liste des BDU est intégrée en annexe I du Règlement (UE) 2021/821, accessible sur le site officiel de l’Union européenne (EUR-Lex). Cette annexe définit les biens à double usage via des identifiants techniques comme 1A001, 3A225, etc, structurés selon les catégories du règlement, sans mention directe des codes NC ou SH.

Toutefois, l’UE publie chaque année une table de corrélation NC–BDU (Combined Nomenclature – BDU). Cette table permet de relier les codes NC à ceux de la liste BDU, mais elle est strictement indicative et ne remplace pas l’analyse technique obligatoire pour déterminer si un produit relève réellement d’un code BDU. Vous pouvez consulter la table de corrélation sur le site CIRCABC Europa.

Les grandes catégories sont :

  • Matériels nucléaires (réacteurs, matières fissiles, etc)
  • Produits chimiques (précurseurs d’agents toxiques)
  • Micro-organismes et toxines
  • Électronique (circuits intégrés, radars, composants sensibles)
  • Informatique (logiciels de cryptage, cybersurveillance)
  • Télécommunications
  • Capteurs et lasers
  • Navigation et avionique
  • Matériaux et équipements aérospatiaux
Biens à double usage

Attention : un bien peut être considéré comme « à double usage » même s’il ne figure pas explicitement dans la liste, s’il existe un risque d’utilisation dans un programme de prolifération. On parle alors de « clause attrape-tout » (catch-all clause). La clause assure un filet de sécurité empêchant le contournement des contrôles via la commercialisation de technologies non listées mais potentiellement dangereuses. Elle permet aux autorités nationales de demander une licence pour des biens non‑listés si le contexte ou l’usage final le justifie. Concernant la cybersurveillance, les exportateurs doivent notifier si un produit non listé l’est mais pourrait être utilisé de manière intrusive, même si aucune référence explicite ne figure dans l’annexe.

Quels sont les types d’autorisations d’exportation ?

Le règlement prévoit plusieurs types de licences selon le niveau de sensibilité des biens et des destinations :

Licence individuelle (IE)

C’est l’autorisation la plus restrictive, valable pour une entreprise, un destinataire, un bien et un pays spécifique. Elle est délivrée au cas par cas.

Licence globale (GE)

Elle couvre plusieurs biens et destinataires, pour une entreprise spécifique, sur la base d’un programme de conformité validé par l’administration.

Licence générale de l’UE (UGE)

Elle s’applique à certaines catégories de biens peu sensibles exportés vers des pays considérés comme fiables (ex : Japon, Canada, États-Unis). Elle dispense de demande préalable, sous réserve de s’enregistrer.

Licence nationale générale (NGE)

Propre à chaque État membre, elle peut couvrir des cas particuliers définis par la législation nationale.

En France, les demandes d’autorisation s’effectuent via la plateforme EGIDE (portail sécurisé de la DGE).

Comment anticiper et sécuriser ses opérations ?

L’exportation de BDU implique des responsabilités importantes pour les entreprises. Pour éviter tout risque de non-conformité, qu’il soit douanier, juridique, ou réputationnel, il est essentiel de mettre en place une stratégie proactive de gestion des BDU. Les entreprises du secteur de la tech, de l’ingénierie, de l’aéronautique ou des biotechnologies devront intégrer la dimension BDU dès la phase de conception ou de commercialisation.

Voici les principales étapes et bonnes pratiques pour sécuriser ses opérations à l’export :

Identifier les biens potentiellement concernés

Avant toute opération d’exportation, il faut analyser son catalogue produits pour identifier ceux qui pourraient entrer dans le champ des BDU.

  • Vérifiez le classement douanier de votre marchandise : nous vous invitons à consulter notre guide sur le classement tarifaire au besoin.
  • Comparez les caractéristiques techniques du produit avec celles figurant dans l’annexe I du règlement (UE) 2021/821
  • Consultez les experts techniques de l’entreprise (ingénieurs, R&D) pour valider les spécificités sensibles
  • En cas de doute, sollicitez un avis de classement BDU auprès de la DGE (Direction générale des entreprises) ou d’un cabinet spécialisé

Attention : certains logiciels ou technologies peuvent être considérés comme BDU même s’ils ne sont pas physiques (ex : algorithmes de cryptage, outils de cybersurveillance).

Évaluer les destinations et les utilisateurs finaux

Le risque lié aux BDU dépend aussi du pays de destination, de la nature de l’utilisateur final et de l’utilisation finale du bien exporté.

  • Vérifiez si le pays est sous sanctions internationales ou embargos (Russie, Iran, Corée du Nord …)
  • Réalisez un screening du client (utilisateur final, intermédiaires, partenaires), via des bases comme World-Check, Dow Jones, OFAC, EU Sanctions Map, etc.
  • Analysez si le bien pourrait être utilisé dans des programmes militaires ou de prolifération
  • Demandez une déclaration d’utilisation finale au client (« end-user statement« )

Téléchargez gratuitement un modèle de déclaration d’utilisation finale (end-user statement) ici.

Notre conseil : conservez ces éléments dans un dossier de conformité BDU, qui pourra être présenté en cas de contrôle douanier.

Mettre en place un programme interne de conformité (PIC)

Le règlement européen 2021/821 recommande aux entreprises de mettre en place un programme interne de conformité (PIC) adapté à leur activité.

Un bon programme de conformité inclut :

  • Des procédures écrites (classification, screening, documentation)
  • Une formation régulière des équipes (commerce international, logistique, direction …)
  • Un référent BDU désigné dans l’entreprise
  • Un système d’archivage sécurisé des documents liés aux exportations sensibles
  • Des revues de conformité internes (audits réguliers, traçabilité)

La présence d’un PIC robuste peut faciliter l’obtention de licences globales et renforcer la relation de confiance avec l’administration.

Gérer efficacement les autorisations d’exportation

Si un bien est classé comme BDU, son exportation (hors UE ou parfois même intra-UE pour certains logiciels ou transferts technologiques) nécessite une autorisation préalable.

Nos conseils :

  • Anticipe les délais d’instruction (souvent 1 à 3 mois selon la complexité)
  • Choisissez le bon type de licence (individuelle, globale, générale …)
  • Intègrez ce paramètre dans vos processus logistiques et vos délais commerciaux
  • Vérifiez la validité de la licence à chaque expédition (durée, destinataire, bien autorisé …)

Vous trouverez toutes les modalités particulières de dépôt de votre demande d’exportation de bien à double usage sur le site de la DGE.

Déclarer correctement les BDU en douane

Même avec une licence valide, l’entreprise doit déclarer correctement les BDU sur la déclaration d’exportation. L’exportateur doit mentionner le code régime export adapté (ex : code « EUP » pour une licence de type UE). Il doit également joindre la licence au dossier douanier (si besoin) et conserver une preuve sortie du territoire douanier (comme pour toutes exportations).

Un défaut de déclaration peut entraîner des sanctions douanières, même si la licence est valide.

Archiver et documenter toutes les étapes

Conservez impérativement tous les documents suivants pendant au moins 5 ans :

  • les licences et autorisations obtenues
  • les documents d’expédition
  • les justificatifs de destination finale (end-user statement)
  • les preuves de screening (listes de sanctions consultées, déclarations clients …)
  • les audits internes ou rapports de conformité

En cas de contrôle a posteriori (très fréquent dans le cadre des BDU), ces éléments sont essentiels pour démontrer votre bonne foi et votre conformité.

Nouveautés récentes (2024-2025)

Les années 2024 et 2025 marquent un tournant important dans le contrôle des biens à double usage (BDU), en réponse à un contexte international de plus en plus tendu, marqué par l’intensification des conflits, l’essor des technologies de surveillance et la pression croissante pour faire respecter les droits humains. Dans ce cadre, l’Union Européenne, mais aussi plusieurs États membres, ont adopté de nouvelles mesures visant à renforcer la sécurité des exportations et à empêcher le détournement de technologies sensibles.

L’une des principales évolutions concerne l’élargissement de la liste des biens considérés comme sensibles. Désormais, certaines technologies numériques, et en particulier les outils de cybersurveillance, sont explicitement visés. Le règlement (UE) 2021/821 prévoit déjà un cadre pour encadrer l’exportation de ces technologies lorsqu’elles sont susceptibles d’être utilisées à des fins de répression ou de surveillance intrusive. Mais en 2024, la Commission européenne a précisé et étendu la portée de ces dispositions, notamment en rendant obligatoire une évaluation de l’impact potentiel sur les droits fondamentaux dans les pays de destination.

Par ailleurs, les régimes de sanctions économiques et d’embargos technologiques se sont multipliés, notamment à l’encontre de la Russie, de la Biélorussie, de l’Iran et de certaines entités chinoises. Dans ce contexte, l’exportation de BDU vers ces zones est désormais soumise à un niveau de vigilance maximal. Même des biens auparavant considérés comme relativement bénins, comme certains composants électroniques, sont désormais contrôlés de près en raison de leur potentielle utilisation dans des programmes militaires ou dans la fabrication de drones.

La Commission européenne a également renforcé les obligations pesant sur les exportateurs. En 2025, il est attendu que toutes les entreprises qui exportent régulièrement des BDU soient en mesure de démontrer l’existence d’un programme interne de conformité (PIC) structuré. Ce programme doit inclure des procédures écrites, une formation régulière du personnel et un système de traçabilité robuste. Si ces obligations existaient déjà sous forme de recommandation, elles deviennent de facto une condition pour obtenir certaines licences globales ou pour bénéficier d’un traitement accéléré des demandes d’exportation.

Autre évolution notable, l’Union Européenne a développé et généralisé l’utilisation de la plateforme DUeS (Dual-Use e-System). Ce système numérique permet aux États membres de partager des informations sur les licences d’exportation, les refus d’autorisation et les risques émergents. En renforçant la coordination entre les administrations nationales, DUeS vise à limiter les incohérences de traitement et à empêcher le contournement des contrôles par le biais de pays tiers plus permissifs.

Enfin, la question du contrôle a posteriori prend une importance accrue. En 2024, plusieurs États membres ont commencé à mettre en œuvre des mécanismes de vérification sur l’usage réel des biens exportés, en particulier lorsqu’ils sont expédiés vers des zones sensibles. Cela signifie que les exportateurs doivent désormais anticiper la possibilité de devoir coopérer avec les autorités pour justifier, a posteriori, que leurs produits n’ont pas été détournés.

Ces évolutions exigent une attention continue de la part des opérateurs et une mise à jour régulière de leurs procédures de conformité. Dans ce contexte, rester informé et se former devient une condition incontournable pour exporter en toute sécurité.

Quels sont les risques en cas de non-conformité ?

L’exportation non autorisée de BDU est considérée comme une infraction douanière et/ou une infraction pénale en France. Elle peut entraîner :

  • La saisie des marchandises
  • Des amendes douanières pouvant aller jusqu’à 50 % de la valeur en douane
  • Des poursuites pénales avec jusqu’à 5 ans d’emprisonnement
  • Des restrictions d’exportation ultérieures
  • Une atteinte à la réputation de l’entreprise

FAQ

Il s’agit du SBDU (Service des Biens à Double Usage), rattaché au Ministère de l’Économie. Les demandes de licences se font via le portail EGIDE.

Cela dépend :

  • Licence individuelle : de 2 à 6 semaines en moyenne (voire plus selon les produits et destinations)
  • Licence globale : quelques mois
  • Licence générale européenne : immédiate, sous réserve de déclaration préalable et conformité

Non. La réglementation s’applique aussi :

  • Aux logiciels.
  • Aux données techniques (ex. transmission de plans, codes-source …)
  • Aux prestations de service techniques liées à ces biens

Retour en haut